La veille de Noël on voit dans les églises une crèche exposée. C’est le jour où les petits enfants se plaisent dans la maison du Bon Dieu, parce qu’ils y trouvent cette compagnie qui tant les fait rêver:
l’âne, le boeuf et les moutons et les étoiles, avec l’ours et le loup et le renard et la belette et la jument de Michau…présents de plein droit dans le cercle de famille, avec Marie, Joseph , les mages et les bergers et le facteur, le rémouleur, l’idiot du village, le génie des alpages, le clandestin, le docteur …. toute une foule hétéroclite … Comme une grande réunion de famille que nous n’osons pas réaliser dans la vie ordinaire, un peu cosmique et complètement ouverte, mêlant Bible et légende, folklore et évangile, sauvagerie et civilisation
En cette soirée, grâce à la crèche, la nature s’invite en ville pour nous rappeler nos cousins de la nuit des temps – bêtes, plantes, espace, ténèbres et lumière. Leur innocente visite devrait nous avertir que si nous n’invitons pas la nature à nos fêtes elle s’invitera de plus en plus brutalement à nos malheurs pour forcer notre attention.
Mais il manque sur la photo de famille les magasins illuminés, les stars du show biz, les clients repus … et les reclus et les exclus. Or si la nature s’invite en cette veillée ce n’est pas pour nous faire oublier nos frères et nos sœurs de la rue, et tous les autres tenus à l’écart des fêtes de l’argent. Comme la nature il arrive que les oubliés de la consommation reviennent en force quand on ne les attend plus, et se comportent non plus comme des humains mais comme des catastrophes aveugles.
Annonçant la venue du prophète de la fin des temps le prophète Malachie affirme: « Il ramènera le coeur des pères à leurs fils Et le coeur des fils à leurs pères ». Pourquoi parmi tous les conflits et entre toutes les consolations Malachie a-t-il retenu ce rapprochement comme prouesse suprême de l’Envoyé? Est-ce donc si difficile de rapprocher les parents et les enfants ? Sans doute le prophète vivait-il, lui aussi, une époque où l’on dit : les jeunes sont désaxés c’est la faute des parents !
Aussi faut-il prendre au sérieux le privilège que nous avons à chaque Noël de vivre cette réunion de famille, quelles que soient notre solitude ou nos relations, cette réunion avec la famille des arbres et des bêtes, de la nuit et du mystère, et dans l’énorme confusion commerciale qui s’étend sur la fête, la mission de témoigner pour le rapprochement entre les gens qui ne se comprennent pas.
Car nous fêtons Noël pour faire plaisir aux enfants, c’est sûr, mais en faisant entendre l’immémorial, l’impérissable, l’insurpassable, l’inoxydable message de la petite voix qui dit : je vous aime, et qui le dit par des lèvres d’enfant.
Jean-Pierre Molina