Pasteur Jean-Pierre Molina
Préalable :
Il m’arrivera de me répéter ou de me citer moi-même : rien de surprenant car je ne suis pas capable de distinguer, dans ce que j’ai en tête, ce que j’ai trouvé tout seul et ce que j’ai appris de vous et de beaucoup d’autres auxquels vous ressemblez.”On dit des choses qu’on a piquées ailleurs. Il n’y a pas de premier qui l’a dit.” observait un membre des Equipes Ouvrières Protestantes…
L’autre chose que j’ai reçu à vous fréquenter:
ce n’est pas seulement et peut-être pas principalement de l’évangile que j’ai reçu au Pays, aux EOP, à la miss pop. Mais de la vérité toute crue. Car l’évangile est bonne nouvelle. La vérité pas toujours. Pas tout de suite. La réalité non plus. Peut-être que notre espérance et notre engagement sont de voir, un jour, une minute, quelquefois, réalité et évangile coïncider ?
Peuple : il y a quelques bricoles que j’ai apprises sur le peuple. Et aussi sur ceux qu’on appelle les pauvres. D’abord, tout ce qui touche au peuple est sujet de controverse. Et encore davantage quand il s’agit de pauvres et de pauvreté : comme si l’on ne tenait pas tellement à avoir des idées claires dans ce domaine. Certains pour ne pas s’avouer qu’ils ont besoin de pauvres plus bas qu’eux dans la pyramide sociale, pour sentir leur propre valeur – alors que d’autres, par fierté populaire, ne se nomment jamais pauvres eux-mêmes : “on n’est pas riches mais on n’a jamais manqué de rien”.
Au sens biblique le peuple c’est nous et les nations c’est les autres. Certes, il vaut mieux être le peuple. Ce point établi, le peuple de la Bible a tous les défauts face à Dieu qui n’en a aucun.
En français courant le peuple c’est tout le monde et n’importe qui, en situation de public, profane, contribuable, consommateur, exécutant… Mais dans cet ensemble une masse de gens ne sont jamais autre chose : ceux-là forment le milieu populaire. Et se savent généralement déconsidérés.
“Le peuple est con”, me disait un militant ouvrier au lendemain d’élections ayant porté la droite au pouvoir. Beaucoup de gens partagent son avis, sans la nuance d’ironie autocritique. En général on s’accorde à penser que les croyances populaires sont primitives, que le peuple en matière de vêtement ou de déco a des “goûts de chiotte”, qu’en démocratie il ne faut pas lancer de slogans trop généreux ou avant-gardistes parce que le peuple ne suivra pas .People est le nom que l’on donne à des canards démagogiques et à des personnages dont la fonction consiste à offrir au public la version capitaliste des contes de fée, du rêve euphorisant….”Nous sommes la basse classe” constatait une femme d’ouvrier … et sur le moment j’avais compris classe sociale mais aujourd’hui je me demande si elle ne pensait pas école : les personnes importantes qui ferment les usines ou fabriquent l’information ont tellement répété aux victimes de l’exploitation puis à celles du chômage” c’est votre faute vous êtes les mauvais élèves”…. ou encore : “c’est complexe vous ne pouvez pas comprendre “. C’est vrai, on est des gens qu’ont pas de porte de derrière aurait répondu ma voisine… Mais le plus dur reste la déconsidération par l’intérieur (cf enfants d’ouvrier ou de “fille de salle” pour qui leurs parents sont des minables qui n’ont surtout rien à leur apprendre).
En matière de culture populaire, je connais un peu l’éloquence ouvrière. L’éloquence ouvrière n’a rien à voir avec celle des intellos ou des avocats. Souvent inconsciente d’être de l’éloquence mais très consciente de ses effets. Elle répugne à la dissertation. S’exprimant par formules et images n’allons pas croire qu’elle se limite à l’emploi d’un langage univoque car elle affectionne le double sens, l’allusion, le clin d’oeil. Elle abrite des trésors de scepticisme et d’humour désabusé. A l’endroit même où l’on rencontre des gens assez naïfs et peu enclins à la complexité pour se tourner vers la prédication des fondamentalistes on peut entendre des maximes comme celle-ci :” Déjà qu’on est pauvres on va pas en plus se priver!” (Entendu dans un groupe de femmes à la Fraternité de la Belle de Mai).
Dans cette veine se situe la parabole du fond du trou : en Lorraine, dans une région de sidérurgie restructurée en désert industriel et baptisée “pôle de reconversion” par quelque fonctionnaire du brouillage linguistique, un chargé de mission explique tout le bien que la France veut aux chômeurs. Une ouvrière prend la parole et dit :” Je suis O.S. Dans une petite boîte qui fait des chaises. Pas au chômage pour le moment. Mais je vois une chose : nous les OS quand on est virés on se retrouve au fond du trou. En haut, autour du trou, il y a des gens qui parlent de nous, qui s’occupent de nous. Mais ça ne nous sort pas du trou. Je ne crache pas sur ce qu’ils essaient de faire, c’est quelquefois très bien. Mais voilà, eux ils sont autour du trou et nous on est dedans.” Tout est dit : la répartition entre ceux qui peuvent dénigrer la pensée binaire, alléguer “la sagesse trimillénaire de la Chine”, le yin le yang et le dépassement des oppositions … et ceux qui héritent le dualisme comme vérité. Quand une chômeuse peut affirmer : le fond du trou est ma vérité mais la vie vaut d’être vécue et je n’éprouve que de l’amitié pour l’espèce humaine, alors oui l’évangile rejoint la réalité . On croit que la miséricorde vient d’en haut. C’est quand elle vient d’en-bas qu’elle est vraiment grande. Je l’ai dit à l’ouvrière du fond du trou et elle m’a répondu : la miséricorde? Je ne connais pas ce mot.
L’évangile que j’ai reçu.
En vrac : J’ai reçu l’évangile d’une enfant du peuple à qui je demandais – c’était pendant le caté – si Jésus représentait quelque chose de vital pour elle : “Ben non : c’est pas ça qui va me donner à manger”. Et de l’évangile de Luc en 1968 (Luc 11/52) : Malheur à vous maîtres et experts : vous avez pris la clef du savoir, vous n’êtes pas entrés, et vous avez empêché les autres d’entrer.
Ces 2 phrases m’ont influencé avec une force égale, m’apprenant que la seule parole de Dieu est celle qui nourrit son peuple et pas seulemt sur le plan spirituel: un évangile du casse-croûte, un engagement contre le chômage, des expériences qui arment pour vivre;
et que le rôle d’un moniteur honnête consiste à donner les clefs , pas à habiter à la place des gens
A l’opposé du mépris dont se drappent les élites, Jésus de Nazareth prend position d’avocat des gens modestes, ridiculisant ceux qui traitent le petit peuple comme un ramassis d’imbécile. Jusqu’à la mort il défend la vérité des ignorants et la noblesse des sans grade.
Avant sa naissance Jésus est annoncé comme “une bonne nouvelle pour tout le peuple”. Avant d’être exécuté il annonce ” la bonne nouvelle du RdD”. Et cette bonne nouvelle consiste à établir que le peuple n’a pas vocation à l’échec et à la soumission. Les Béatitudes : affirment que les perdants, les pauvres, les pauvres en esprit, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent à force de payer toutes les factures de tous les abus que d’autres commettent … ont le soutien de Dieu contrairement à l’opinion dominante pour qui la réussite, le pouvoir et l’argent sont preuve de légitimité. Il faut entendre aussi toutes ces louanges que Jésus adresse à la sagacité des petits qui croient en lui. Mais attention, c’est bien ceux-là que Jésus appelle : il acceuille tout le monde et n’importe qui mais il adresse ses Béatitudes, à la fois promesses et compliments, à ceux qui font le pas de la confiance. Car la pauvreté n’est pas sainte par elle-même (Jésus annonce le règne de Dieu, pas la dèche), les humbles ne sont pas nobles par définition, les pauvres ne forment pas spontanément un peuple.
Ces paroles disent bien la vocation à laquelle nous devons répondre : admettre que la foule est veule montrer que le peuple est prophète. Et par conséquent ne pas nous borner à accueillir la misère mais nous rappeler constamment que le peuple des Béatitudes est aussi “artisan de paix”, “persécuté pour la justice” et prêt à en baver pour sa foi (Matth 5/10-11). Qu’il ne suffit pas de soigner et nourrir mais qu’il faut aussi et surtout entendre ensemble un appel. En abolissant la distinction miltants – clients ? Pas forcément. Mais pour que le pourcentage des clients s’élève parmi les militants.
A la mission Populaire : Un évangile de gauche? Formule illégitime assurément. Mais quand je me rappelle la surprise des ouvriers découvrant que le message biblique n’était pas la confirmation de l’ordre social existant je suis sûr que nous faisons du bon boulot en arrachant le prophète Jésus aux prisons de la bourgeoisie. Et la possibilité de lire et de vivre son message explosif sans restriction mentale, sans servilité ni crainte de blesser les tenants du conformisme politique comme dans ma vie paroissiale antérieure, m’a été une libération incomparable.( Comme pour ce jeune Kabyle réchappé du conformisme religieux qui affirme :” ici je n’ai plus besoin d’être hypocrite, pour qu’on m’accepte comme chrétien” ) Pas un évangile limité à la gauche mais une communauté – la mission populaire – décidée à vivre toute l’intensité de ses convictions de gauche à l’épreuve de l’évangile. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Ex : l’invasion par le 3è Collectif des sans papiers, 150 Chinois et Turcs débarquant un jour de braderie au milieu d’une Fraternité miss pop: 1°affolement des vendeurs et sérénité de quelques femmes : “Mais non ils vont rien casser. On n’a qu’à leur proposer d’acheter! (évangile du commerce!).2° parole d’une absente, bien tranquille chez elle : Je suis sûre que c’est le St Esprit qui vous les a envoyés (évangile des spectateurs – elle est gonflée mais si ça marche je crois que je vais finir par croire à mes propres prédications) 3° Le lendemain matin, c’est dimanche, culte débat , la communauté porteuse portée par l’urgence est rassemblée face aux représentants des sans papiers; rude débat! Vous existez.? Nous aussi! négociation, contrat, l’invasion est finie, nous avons des invités – pendant 15 jours . Toutes nos querelles internes s’en trouvent dépassées, centre social ou centre cultuel on s’en moque. L’évangile de l’Histoire est entré chez nous avec ses longues ailes d’ange sorti d’une image pieuse.
Cette position – une sorte d’église de gauche – est bancale sur le plan théologique et présente de réels risques de sectarisme. Elle n’est pas originelle (Aïe Mc All !!). Elle ne doit jamais constituer une condition d’admission à la miss pop. Elle contient pourtant l’un des axes de notre vocation. Je n’ai pas trouvé à la miss pop un autre évangile que dans les milieux protestants plus classiques. Je l’ai trouvé dans un milieu qui permet sans ambigüité d’en prendre au pied de la lettre les applications de justice sociale.
L’évangile des petits enfants :il y a eu ces gamins musulmans confiés à nous pour apprendre les récits bibliques avec leurs copains de la Frat. Aujourd’hui ils sont grands, toujours musulmans mais un peu protestants. Des musulmans protestants ce serait bon pour tout le monde à l’heure actuelle. L’interreligieux c’est de la soupe, nous a-t-on dit. D’accord, et nous en faisons! La seule vraie question se pose ainsi : comestible ou pas?
Il y a eu aussi la petite juive de parents non pratiquants. Trois mois sur la Bible chez nous et la voilà qui nous quitte… pour faire sa confirmation au caté de la synagogue. De toute façon on est des juifs. Ca me fait penser au jeu de noël : les enfants se partagent les rôles. “Et toi tu veux quel personnage? Je veux être l’âne répond la fillette. Tu es sûre? Tu ne préfères pas un roi, un berger? Non… L’âne, il est tout près de Jésus”. C’est vrai que dans les conditions modernes un travail biblique suivi avec des enfants est presque devenu mission impossible. Mais source irremplaçable d’invention et de poésie.
L’évangile que je n’ai pas reçu à la mpe
L’évangile de la grâce est à l’œuvre dans les Fraternités mais on a plus souvent l’obligation de le rappeler que l’occasion de le recevoir, dans l’esprit très activiste qui y règne : essayez de partager la poésie d’Amos, d’organiser une sortie théâtre ou d’accueillir un spectacle bricolé par de jeunes artistes, vous aurez plus de peine à trouver du monde que pour alphabétiser les étrangères. L’obsession des “problèmes” à résoudre fait passer tout acte improductif pour un luxe inutile. Cette tendance à la productivité spirituelle étant aggravée par l’apport des cadres supérieurs recyclés dans la bonté. Pourtant toute l’attirance exercée par la Miss Pop auprès des victimes et des samaritains tient à sa foi en l’Impossible, sa certitude contre nature que nul n’est irrécupérable . C’est d’ailleurs ce qu’on affirme plus facilement dans le milieu EOP, qui entretient le sens de la gratuité, les revendications de paresse, la miséricorde envers les gens : “Dans l’industrie ça ne sert à rien de vouloir régler des comptes avec les gens : ce qui rend méchants les riches et leurs larbins c’est ce système de production qui monte les uns contre les autres” parole d’un militant syndical et politique dont la tête était pourtant mise à prix.
L’évangile du culot – celui de l’Armée du Salut ancien style, celui des témoins de Jéhova, celui du voyageur de commerce… Ainsi la lecture biblique laïque, en milieu déchristianisé, que j’ai pratiquée au Pays de Montbéliard, aux Universités d’été des EOP, à Paris dans les salles municipales des expositions bibliques, à Angoulême… a été rarement possible dans les Frat, où l’animation biblique a le plus souvent servi de bouche trou en l’absence de pasteur, ou de formation pour responsables locaux.
Globalement la miss pop est prisonnière de ses locaux et de ses contrats officiels. Cf Le raté des années 60-70 : départ des usines et des ateliers des centres-villes, départ simultané des familles ouvrières (logement + boulot). La miss pop ne suivra pas son peuple. Quelquefois ERF et EELF tentent de le faire ( Maison du rêve à Villepinte, Centre protestant de Colmar, La Chiffogne, Le Haut-du-Lièvre, Les Buis …) sans lien avec la Mission Populaire évidemment. Elles suivent le peuple puis le perdent à leur tour quand les enfants des ouvriers retournent au village dans des lotissements et que les immigrés investissent les HLM. A l’exception de Trappes, les tentatives engagées par la suite entre Eglises et Mission Populaire ont périclité.
Aujourd’hui il n’est pas question d’abandonner les implantations anciennes puisqu’on y fait du bon travail et peut-être pas non plus d’en posséder de nouvelles. Car il est urgent de distinguer mission et maison : maison veut dire porte ouverte, mission signifie: pas de porte. Mission veut dire aventure, maison veut dire ouverture pour un accueil sans faiblesse qui permet à l’égaré de se dire : queque part quelqu’un m’attend.
Le partage du pouvoir avec les personnes concernées par l’action sociale et pas seulement entre celles qui se penchent sur leur cas représente un message constant et une pratique rare. Et de manière plus générale le rapport entre exercice du pouvoir et fraternité devrait constituer chez nous un chantier important car la concurrence est aussi âpre dans le domaine de la bonté que dans celui du profit, et les conflits sont plus durs entre frères qu’entre collègues.
Le dialogue avec les incroyants. Souvent évoqué comme un des spécialités de la Mission Populaire il a tendance à s’appauvrir. Parmi nous les incroyants deviennent petit à petit incapables de s’intéresser aux idées de ceux qui ne partagent pas leur indifférence et se déclarent vite exclus, criant au “recentrage” dès la 1ère allusion à la foi chrétienne. Sur le mode : J’ai vu de la lumière alors je suis entré. Maintenant que je suis dedans ça vous ferait rien d’éteindre?
La théologie de fait
A la Mission Populaire on suit une théologie affirmée dans tous les textes fondamentaux de cette institution mais dans les Fraternités le travail de terrain en traduit parfois une autre:
une version réactionnaire de la théologie des 2 règnes, qui majore l’opposition 1905 – 1901, Centre social – centre cultuel, Dieu et César, au lieu d’y voir l’amorce de la laïcité vécue comme le terrain de la libre confrontation.
Un cléricalisme très marqué. Chez les croyants qui attendent du pasteur un comportement de guide ou de patron; chez les non croyants qui cherchent à remiser dans ce personnage toute la religion de la miss pop.
Une absence de théologie des responsabilités ( ministères en patois de Canaan) et un monceau de questions et d’urgences sur ce sujet : quels sont les charismes à l’oeuvre dans la Miss Pop? Quels sont les métiers qui conviennent à sa vocation? Qu’est-ce qu’on a qu’est-ce qui nous manque? Est-ce que ça fonctionne?
Un préjugé favorable envers l’oecuménisme lié à la recherche d’un humanisme chrétien ou d’un christianisme humaniste, qui traduit une croyance en la possibilité d’être “simplement chrétien” ou de pratiquer une foi non confessionnelle. D’où le constat d’une proximité mal exploitée entre ceux qui se disent agnostiques et ceux qui viennent au culte, et entre les Chrétiens une authentique intercommunion spirituelle. Mais aussi une pensée qui va au-delà de l’oecuménisme chaque fois que des croyants non judéochrétiens et des agnostiques viennent partager le rêve d’une harmonie qui aille même au-delà de l’inter-religieux( voir “La Miss Pop, lieu d’espérance” texte composé à la Fraternité de Trappes en 2000). Au-delà de l’interreligieux mais sans doute pas au-delà de l’opposition droite-gauche, ce qui fait que la Mission Populaire n’est pas tout à fait une Eglise. Ou alors une Eglise qui s’assume hérétique.
L’évangile dont nous avons besoin
Aux EOP : “Alors vieux frère tu crois qu’un jour on va y arriver à cette société sans classe?” demandait un jour le syndicaliste ennemi des réglements de comptes. Une telle question n’est pas à prendre à la légère car souvent la foi du petit peuple a survécu aux échecs électoraux de ses leaders mais pas à leurs réalisations dans l’exercice du pouvoir. Or nous avons dans l’Ecriture le moyen de ne pas confondre eschatologie et programme de gouvernement. “Eschatologie” veut dire théorie de la fin. Chez les Chrétiens c’est la théologie de l’accomplissement, l’attente du paradis qui instaure pour tout le monde la justice et le bonheur. On croit balayer la naïveté de cet espoir suprême en investissant toute sa force dans les droits de l’enfant, le combat contre la torture, l’instauration de la démocratie, la victoire des écolos …Mais qui se soucie de la résistance populaire à la déception? Avoir une théologie populaire de l’accomplissement, c’est un service à rendre à tous les innocents qui prennent le risque d’espérer la justice..A nous de savoir et faire savoir que les ratés des idéalistes ne disqualifient pas forcément l’idéal. Car lorsqu’on marche de nuit en suivant une étoile le but n’est pas d’arriver sur l’étoile mais à l’adresse qu’elle indiquait.
A la Miss Pop : Et dans nos propres organisations comment traçons-nous l’itinéraire de la marche vers l’étoile Justice? Il arrive qu’on nous objecte : de toute façon le voyage est périlleux quand on marche de travers; entre nos statuts 1901-1905, nos salades religion-laïcité, notre valse du social au syndical, du cultuel au culturel …nous sommes “écartelés” au risque “d’éclater”.
Pourtant c’est une erreur stérilisante de vouloir traiter ce pradoxe comme un préalable dont il faut se débarrasser. Car la Miss Pop est une pétaudière organisée. Il en existe d’autres, à commencer par votre voiture. Et il est vrai qu’on gagne à ne pas confondre moteur qui explose et moteur à explosion. Toute l’affaire consiste à stabiliser l’étincelle. Mais pas à la supprimer!
La Mission Populaire Evangélique de France (MPEF) entend vivre et manifester l’Evangile dans le milieu populaire(…..) Pour conduire ces activités, les membres de chaque communauté constituent des associations qui, du fait de leurs objectifs sociaux, se réfèrent uniquement à la loi du 1er juillet 1901. Tel est le but et la raison d’être des Fraternités d’après le § 2 de la Charte du mouvement Mission Populaire, que le §1 annonce comme des lieux où la justice remplace l’oppression l’équité remplace l’exploitation le partage remplace le pillage la dignité remplace le mépris.
Tout est donc clair, l’évangile dont la mpe à besoin est le même que pour tout le monde :”À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : l’amour des uns pour les autres”(Jn13/35 ) et ce commandement d’amour est une bonne nouvelle pour les pauvres. Alors mettons de côté les querelles sur le religieux et revenons au bon vieux slogan des années 60 – 80 : l’évangile par les actes! Ah oui, diront peut-être certains, mais on va pas bâtir l’avenir là-dessus : trop de voix parmi les militants s’élèvent au nom de la laïcité contre le “recentrage ” sur le protestantisme, les croyances, la résurrection ..etc. D’accord, allons-y donc comme ça : pas de théologie, tenons nous en à un humanisme apparenté chrétien, l’évangile décaféiné. Et ça donne quoi? Ca donne bonne nouvelle pour les pauvres. Encore. C’est à dire les Béatitudes : Heureux les pauvres parce que c’est demain la quille et là – il faut avoir quelque chose à offrir ! Et pour les pas pauvres? La nouveauté sera évidemment que cette nouvelle-là soit bonne pour eux aussi. Ne plus avoir besoin de pauvres pour s’estimer soi-même! Autant croire au miracle. Mais justement on est quelques uns à y croire…
Quant à la question du pouvoir et de son partage à l’intérieur de l’institution, les réponses apportées au quotidien joueront un grand rôle sur le degré de ressemblance entre notre justice et l’étoile que nous visons. Hiérarchie, pas hiérarchie? Peu importe pourvu que la solution retenue soit claire, affichée et révisable. En revanche il importe de partager la gratitude entre ceux qui se donnent à la tâche commune. Et pour le faire, appeler l’imagination à la rescousse : pourquoi ne pas inventer pour tous les militants et équipiers qui adhèrent à la charte du mouvement un geste de reconnaissance de leur action et d’accueil dans la Fraternité Miss Pop – qui du même coup leur donnerait le droit de vote au niveau national de l’institution? Pour les candidats aux postes de chefs on pourrait même créer le serment des avaleurs de couleuvres afin d’indiquer clairement la nature de l’autorité parmi nous .
Et le fric? En voilà un, avec ses faux airs d’ouvrier qui ne demande qu’à devenir le patron. Surtout quand il s’appelle subvention. Avons-nous un évangile pour le convertir? Comment faire quand on a des chambres d’accueil à gérer, des enfants à envoyer en séjour de vacances, des adultes à aider… Comment faire sans argent public? L’argent public est notre argent. Mais nous-mêmes à quel degré notre action se confond-elle avec la commande publique? Dans quelle mesure en cas de divergence restons-nous capables de poursuivre notre propre projet? La question porte sur le sens mais aussi sur la taille: il nous arrive fréquemment de dire “Si la subvention diminue nous serons obligés de réduire l’activité”. N’est-ce pas avouer que la charge est plus grosse que son porteur? Que la Fraternité constituée pour mener une action n’a plus la maîtrise de cette action? Et que, si un projet disproportionné doit rester le nôtre ce n’est pas premièrement la subvention qui doit augmenter mais la communauté porteuse qui doit s’agrandir?
Facile à dire. Mais nécessaire à se rappeler. Pour marcher vers l’étoile il ne faut pas la perdre de vue : nous existons pour rendre justice aux humbles. Cela se fait par l’estime, par l’économie et par le droit. Et tout le reste est littérature de salle d’attente.